- Quel est le débat ?
L’épidémie de coronavirus a donné lieu à une véritable guerre entre laboratoires pharmaceutiques. Les Etats ont essayé tant bien que mal de freiner la progression du virus à l’aide de mesures restrictives. Malheureusement, aujourd’hui, on ne peut que constater que ces mesures ne suffisent plus. L’espérance d’un jour nouveau réside depuis un an dans l’espoir que la recherche médicale mette la main sur un vaccin efficace.
Actuellement, en Europe, quatre vaccins Covid-19 sont autorisés sur le marché :
- COMIRNATY ® (Pfizer-BioNTech)
- MODERNA ® (Moderna)
- VAXZERIA ® (ASTRAZENECA)
- JANSSEN ® (Johnson&Johnson)
Seuls les vaccins des laboratoires Pfizer-BioNTech et moderna sont concernés par la demande. Ces deux vaccins ont la particularité d’utiliser la technologie de l’ARNm, résultat de longues années de recherches scientifiques. Deux chercheurs de l’université de Pennsylvanie ont particulièrement contribué à cette découverte : le Professeur Drew Weissman et le Docteur Katalin Kariko. Les premiers brevets sur cette technique ont été déposés dès 2005. Cela explique comment les deux laboratoires américains ont été en capacité de développer en quelques mois seulement leurs premiers vaccins contre le covid.
En réalité, les laboratoires ne disposent pas encore de la certification définitive du brevet. Pour le moment, seules des demandes ont été déposées auprès des offices. L’obtention définitive surviendra après un examen qui dure en moyenne deux ans. L’absence de certificat n’est en rien synonyme d’absence de protection. En effet, le dépôt suffit pour engager une action en contrefaçon. En pratique, cela signifie que seuls les dépositaires des demandes peuvent réaliser les vaccins protégés.
- Qu’elle est la solution demandée ?
Des campagnes de vaccination ont été lancées dans les pays riches depuis la fin de l’année 2021 (Canada, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, ….) ; tandis que les pays ayant moins de ressources sont laissés au second plan.. Au total, 36 pays sont dans l’attente de doses de vaccins selon l’OMS.
Ce contexte a poussé l’Inde et l’Afrique du Sud à déposer, début octobre 2020, une demande de levée temporaire des restrictions liées au brevet auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
La demande a été rejetée mais a réussi à rassembler plusieurs soutiens étatiques et institutionnels. L’OMS a d’ailleurs insisté sur la flexibilité des règlements commerciaux qui prévoient un assouplissement des règles en cas de situations d’urgence.
Les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et la Russie ont récemment fait part de leur avis favorable à cette proposition. Aux Etats-Unis, la représentante américaine au Commerce Katherine Tai a déclaré le 5 mai sur son compte twitter « Il s’agit d’une crise sanitaire mondiale, et les circonstances extraordinaires de la pandémie du Covid-19 appellent à des mesures extraordinaires ». En France, Emmanuel Macron, qui s’y était pourtant opposé ces dernières semaines, a finalement changé d’avis au nom du « bien public mondial ». Néanmoins, le soutien du chef de l’Etat n’est pas catégorique puisqu’il souhaite laisser la priorité aux dons de vaccins. L’Union européenne, quant à elle, s’est déclarée prête à discuter de cette proposition selon les propos de la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
- Quels sont les arguments en faveur de la levée ?
Les défenseurs de la cause ont avancé les arguments suivants :
- Le bien commun
En premier lieu, l’argument majeur de cette campagne est le bien commun public. De nombreux pays souffrent durement de la crise sanitaire, dont notamment l’Inde qui détient le record de contaminations et de décès dans le monde. Le seul moyen pour ces pays d’arrêter le désastre serait de lancer une vaste campagne de vaccination auprès de la population.
- La lutte contre le monopole pharmaceutique
Le brevet est un titre de propriété industrielle conférant à son titulaire une exclusivité d’exploitation pendant plusieurs dizaines d’années. Tout organisme qui souhaite produire un vaccin devra se voir octroyer une licence de la part du titulaire du brevet. A ce titre, si le laboratoire refuse de céder une licence, la production se retrouve réduite et les prix du traitement flambent.
Lever la protection liée au brevet permettrait d’augmenter la production et de fixer des prix concurrentiels.
- Les brevets ne freinent pas l’innovation
La détention d’un monopole de connaissance est censée encourager l’innovation et ainsi contribuer aux progrès de la société. Cette idée est aujourd’hui remise en cause.
Comme l’a rappelé l’économiste Nathalie Coutinet dans un article de l’Obs publié en février dernier, « jusque dans les années 1960, il n’existait pas de brevets sur les médicaments et cela n’a nullement empêché l’industrie pharmaceutique d’innover ».
Le géant de l’automobile Elon Musk a d’ailleurs décidé de miser sur cette stratégie en rendant public et gratuit l’accès à l’intégralité des brevets de Tesla Motors. On se rend bien compte que cette décision n’a pas impacté le business de la marque qui ne cesse d’innover.
- Les brevets limitent l’innovation
A contrario, d’autres avancent l’argument contraire que le brevet peut empêcher l’innovation.
Certains salariés se retiendraient d’innover en raison du régime spécifique de l’invention salariale. Ce régime prévoit en effet que l’employeur récupère la propriété du brevet, excluant ainsi l’inventeur de la protection. Les employés éviteraient ainsi de développer leur invention dans le cadre de leur fonction et préféreraient déposer eux-mêmes leurs brevets le jour où ils en auront la possibilité.
Les laboratoire BioNTech et Moderna n’ont pas eu affaire à ce problème en raison du statut particulier de leurs employés. En effet, bien que les brevets soient la propriété officielle de la société, ils sont également détenus par les dirigeants et les salariés actionnaires. Ces derniers se retrouvent ainsi indirectement propriété de l’actif de propriété intellectuelle.
- Les recherches sur les vaccins ont été financées par les fonds publics
Dernier argument recensé : la recherche sur ces vaccins a été financée par les fonds publics. Un rapport du Global Health Center met en lumière le rôle des Etats dans le développement de ce vaccin : « Les États-Unis et l’Allemagne sont de loin les plus gros investisseurs dans la R&D sur les vaccins, suivis par un nombre relativement restreint d’autres pays (pour la plupart) ».
- Les arguments de la défense
De l’autre côté, les laboratoires et hautes institutions de santé luttent bien évidemment contre la levée de ces brevets afin de préserver leurs actifs de propriété intellectuelle.
- Le brevet est vecteur d’innovation
Le directeur général d’AstraZeneca, Pascal Soriot, affirme que la propriété intellectuelle est « un élément fondamental de l’industrie pharmaceutique ». Et « si vous ne protégez pas la propriété intellectuelle, personne n’est incité à innover ».
- La levée des brevets n’est pas la solution idoine
Selon la Fédération internationale de l’Industrie Pharmaceutique (IFPMA), la levée des vaccins est une solution de facilité qui ne se révélera pas efficace sur le long terme. « Suspendre les brevets ne va pas augmenter la production ou fournir les solutions pratiques dont on a besoin pour combattre cette crise sanitaire mondiale ».
Bien au contraire, comme le souligne le président de la fédération américaine (PhRMA) Stephen Ubl, cette décision pourrait ainsi « affaiblir davantage les chaînes d’approvisionnement déjà tendues et favoriser la prolifération des vaccins contrefaits ». Selon ce dernier, il serait plus judicieux de s’attaquer au problème de la distribution et de la disponibilité « limitée » des matières premières.
- L’absence des savoir-faire et des technologies
Tous les pays ne disposent pas du savoir-faire et des technologies nécessaires pour réaliser les vaccins ! En leur absence, la levée des restrictions ne semble plus pertinente. C’est ce qu’il se passe actuellement en France où les vaccins ne sont non pas fabriqués mais simplement mis en bouteille.
Au total, la mise en place d’usines, la conduite de formations et le vote d’un encadrement légal prendrait au minimum une année.
- La réponse des laboratoires
Le 8 octobre dernier, Moderna a déclaré ne pas opposer ses brevets durant la pandémie et a joint par la même occasion la liste des brevets posés sur le vaccin. Le laboratoire a ajouté qu’il laissait la porte ouverte aux négociations pour la période post-covid. D’ailleurs, à ce jour, plusieurs centaines d’accords sur la fabrication et la production du vaccin ont déjà été signés.
Ces gestes ne reflètent pas un abandon des laboratoires sur leurs droits. Au contraire, cela illustre bien l’exercice du droit de propriété sur une invention, dans les conditions choisies par le détenteur de ce titre.
- Et si on remplaçait la levée des brevets par des licences obligatoires ?
La seconde solution que pourraient envisager les Etats et institutions demandeurs seraient l’obtention de licences obligatoires.
Ce processus, prévu à l’article 31 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touche au commerce (ADPIC) autorise les pouvoirs publics à conférer à un tiers le droit de fabriquer un produit breveté ou d’utiliser le procédé breveté sans le consentement du titulaire du brevet, sous condition d’avoir au préalable tenté, sans succès, d’obtenir une licence volontaire. Cette condition saute dans le cas de situation d’urgence nationale, dans « d’autres circonstances d’extrême urgence » ou encore dans le cadre d’utilisation du brevet par les pouvoirs publics.
Bien évidemment, ce type de licence est extrêmement bien encadrée afin de protéger au mieux le titulaire. A ce titre, la portée de cette licence est limitée au niveau national. De plus, le détenteur du brevet percevra une contrepartie financière.
- Les enjeux juridiques
Outre le débat sur la santé publique se pose la question de la légitimité juridique de cette demande.
Forcer les laboratoires à renoncer à leur brevet reviendrait à violer le droit de propriété pourtant protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » Ce droit a également été reconnu par le Conseil constitutionnel qui a validé en 1982 son caractère éminent.
Cependant, les brevets ont été conçus dans le but de protéger les inventeurs d’actes de concurrence déloyale. En aucun cas ils n’ont été créés pour conférer un droit illimité sur l’invention, et encore moins dans un contexte de crise sanitaire mondiale. L’article 31 sur les Adpic démontre bien ce principe puisqu’il prévoit des limitations au droit de propriété sur les brevets en cas d’urgence. Néanmoins, cet article ne représente pas non plus un cas d’expropriation. Il s’agit simplement d’une limitation.
- Les solutions alternatives envisagées
Comme vous avez pu le constater, la levée des droits de propriété intellectuelle est un sujet sensible. Par conséquent, des solutions autres que la levée ont été proposées :
- Augmenter l’assistance financière et partager les doses excédentaires
Les Etats membres du G7 (Etats-Unis, Japon, Canada, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie) sont favorables à l’augmentation de l’assistance financière et le partage des doses excédentaires avec les pays les plus démunis.
- Autoriser les exportations de vaccins
La présidente de la commission européenne Ursula Von der Leyen a demandé à tous les pays producteurs de vaccins à autoriser et faciliter les exportations de vaccins. Cette demande survient après que le Royaume-Uni ait fait barrage à l’entrée de doses de vaccin Astrazeneca vers l’Europe.
- L’utilisation d’une plateforme publique
L’OMS a souhaité apporter son aide par la création en juin 2020 du programme C-TAP (Pooled Access to Technology against covid-19). Le but de cette plateforme est de rendre l’accès aux connaissances, données et technologies de santé sur le coronavirus.
Malheureusement, le constat est bien triste. Bien qu’une quarantaine de pays y ont adhéré, aucune information n’a encore été partagée.
Conclusion
Les titres de propriété intellectuelle sont devenus un enjeu majeur sur la scène internationale. Les brevets viennent de montrer leur limite. Destinés à protéger les inventeurs contre les actes de concurrence déloyale, leur place est remise en cause dans le cadre de crise sanitaire.
Ôter toute protection serait contreproductif et reviendrait à mettre à mal le principe mal de la propriété industrielle. L’octroi de licence d’office semble être l’option la plus adéquate.
Pour le moment, l’OMC n’a pas accord réussi à trouver d’accord. Les discussions se poursuivent donc.
Pour que la proposition soit approuvée par l’OMC, il faut que 123 États votent en sa faveur. Lors du vote du 24 février, 58 pays ont soutenu la proposition, soit moins de la moitié du nombre de voix nécessaires.
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