Réseaux sociaux et administration fiscale : les débuts d’une histoire (probablement) pérenne
L’article 154 de la loi de Finance pour 2020 autorise le fisc à collecter et exploiter les données publiées sur les réseaux dans le cadre de la recherche d’éventuelles fraudes fiscales.

Chers amis internautes prenez garde ! Tout ce que vous posterez sur les réseaux sociaux pourra être retenu contre vous ! L’administration fiscale française a décidé de surfer sur la tendance des réseaux sociaux afin de démasquer d’éventuels fraudeurs.

Dorénavant, vous réfléchirez à deux fois avant d’exposer vos superbes photos de vacances aux Maldives sur votre page Facebook.

Mais pas de panique, Garoé est là pour vous éclairer !

1. Un dispositif pas si innovant

L’administration fiscale n’en est pas à son premier coup d’essai ! Les outils numériques en tant que dispositif anti-fraude ont déjà été utilisées par le fisc au cours de ces dernières années.

L’une des utilisations les plus connues est surement celles de Google Maps afin de repérer des terrasses ou piscines non déclarées. De plus, en 2014, l’administration utilisait le traitement automatisé d’une vingtaine de bases de données pour détecter les fraudes !

Il en va de même à l’étranger où ce dispositif de surveillance est déjà utilisé par certains pays tels que les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou bien encore la Chine.

2. Une collecte de données automatisées ….

Dorénavant, vos publications Air BnB, Blablacar, Youtube, Facebook, Instagram, Vinted ou encore le Bon coin seront passées au crible par le nouvel algorithme du Ministère de l’Economie.

En effet, le législateur a décidé de mettre en place un dispositif expérimental triennal de lutte contre la fraude fiscale.

Le principe est simple : les données présentes sur les réseaux seront collectées automatiquement par logiciel et transmis à la Direction des Finances Publiques (DGFiP) et à l’Administration des Douanes.

Ce processus résulte de l’application de l’article 154 de la loi de finances pour 2020 autorisant la DGFiP et la DGDDI à « collecter et exploiter, au moyen de traitements automatisés et informatisés, les informations publiées par les utilisateurs de plateforme en ligne, afin de rechercher d’éventuelles infractions au code général des impôts ainsi qu’au code des douanes. Cette expérimentation est autorisée pour une durée de trois ans ». Les modalités d’application de cet article ont été détaillées dans le décret d’application n°2021-148, publié au JO le 11 février dernier.

Le but ? Comparer le train de vie publié sur les réseaux des administrés et celui déclaré dans les documents officiels.

Bien que le but poursuivi soit légitime, il n’en demeure pas moins que ce dispositif nécessite un bon encadrement.

3. … Mais pas n’importe comment

Tout d’abord, le périmètre du dispositif demeure restreint puisque son champ d’application sera limité aux opérateurs de plateformes numériques de mise en relation et leurs usagers.  Il en va de même dans le cadre de fausses domiciliations fiscales où la récolte de données est limitée à une liste préétablie de contribuables repérés par l’administration.

Concernant la nature des données, “seuls les contenus se rapportant à la personne qui les a délibérément divulgués et dont l’accès ne nécessite ni saisie d’un mot de passe ni inscription sur le site en cause peuvent être collectés et exploités”. L’administration fiscale n’aura donc pas accès aux publications des comptes privés.

Par ailleurs, il est interdit au fisc d’utiliser à charge les commentaires et les interactions sur les publications, ou bien encore de recourir à un système de reconnaissance faciale.

De plus, l’intégralité des données collectées par le logiciel sera étudiée et analysée par les agents fiscaux, histoire d’écarter tout risque d’incertitude.

Enfin, les données collectées seront conservées durant un mois, à moins qu’elles ne représentent un indice de fraude fiscale. Dans ce cas, leur durée de conservation s’étendra à un an, et jusqu’à la fin d’un contentieux dans le cas de l’ouverture d’une procédure.

Malgré l’encadrement du dispositif, et compte tenu de l’importance accordée à la protection des données personnelles ces dernières années, notamment depuis l’entrée en vigueur du RGPD le 25 mai 2018, il convient de se demander si ce processus ne contreviendrait finalement pas à quelques-uns de nos droits.

 

4. Quid de la conformité constitutionnelle et légale de ce processus ?

La fraude fiscale c’est mal, mais porter atteinte à nos droits l’est encore plus.

Chacun d’entre nous, en tant qu’individus, bénéficie de nombreux droits destinés à nous protéger contre d’éventuels abus.

Cependant, un tel dispositif risque d’impacter certains de ces droits, à savoir la liberté individuelle, le droit au respect à la vie privée ainsi que le principe du recueil de nos données.

La CNIL a donné un début de réponse dans son avis du 12 septembre 2019. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés a déclaré que ce type de traitement « présente des enjeux très particuliers du point de vue des libertés, compte tenu de l’impact du dispositif sur la vie privée et ses possibles effets sur la liberté d’expression en ligne ».

Le problème majeur soulevé ici est l’effet de ce dispositif sur le comportement des internautes qui « pourraient alors ne plus être en mesure de s’exprimer librement sur les réseaux et plateformes visés ».

Une autre question que l’on pourrait se poser est celle d’une éventuelle violation de notre droit à la vie privée.

Saisi à ce sujet, le Conseil constitutionnel s’est montré plutôt rassurant.

Dans sa décision récente du 27 décembre 2019, le Conseil rappelle qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, « il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et le droit au respect de la vie privée ». En outre, la collecte et l’exploitation de données à caractère personnel « doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ».

Quant à l’hypothèse d’une éventuelle fraude au RGPD, celle-ci semble pouvoir être écartée puisque les indicateurs utilisés par l’administration fiscale ne seront pas des données à caractère personnel, mais plutôt des mots-clés, des ratios ou bien des indications de date et de lieux.

Tous ces facteurs ont conduit le Conseil Constitutionnel a validé, de façon quasi-intégrale, les dispositions de la loi de Finances litigieuse.

Ce dispositif représente un nouveau moyen de recouvrement de l’impôt, d’où sa légitimité à figurer dans une loi de finances.

De plus, selon ses dires, le législateur a « assorti le dispositif critiqué de garanties propres à assurer, entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée. Il en résulte également que l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis. ».

Le Conseil a néanmoins exprimé ses réserves concernant la collecte de données dans le cadre d’un défaut ou d’un retard de production fiscale dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure. En effet, puisque l’administration a procédé à l’envoi d’une lettre de mise en demeure, cela signifie qu’elle a déjà connaissance de l’infraction fiscale. La recherche du manquement n’apparait donc plus comme proportionné au but poursuivi.

Néanmoins, cet avis ne permet pas de consacrer définitivement le dispositif qui devra faire l’objet de différents rapports.

5. Une réexamination décisive

Pour rappel, ce dispositif est, pour le moment, provisoire, sa durée étant limitée à trois ans. Les dispositions légales ont prévu une vérification de sa validité et de son efficacité au cours de son fonctionnement.

D’abord, un premier rapport sera transmis à la CNIL à la moitié du chemin.

Ensuite, à l’issu de ces trois ans, un « bilan définitif de l’expérimentation sera transmis au Parlement ainsi qu’à la Commission nationale de l’informatique et des libertés au plus tard six mois avant son terme ».

Ainsi, sa conformité à la constitution fera l’objet d’un nouvel examen, qui sera alors déterminant pour la suite. En cas d’avis favorable du Conseil, le dispositif sera pérennisé.

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